Barcelone, pour un jour ou pour toujours ? C’est une question que l’on se pose forcément une fois bien établi dans la ville. On a toujours cette impression que l’on pourra trouver mieux ailleurs, mais où ?
S’expatrier n’est pas une mince affaire, mais partir d’une ville qui nous a accueillis ne l’est pas non plus. Safia se livre avec beaucoup de sagesse sur ses neuf dernières années entre Barcelone, la France et l’Andalousie où, entre-temps, elle est devenue maman.
Elle a décidé de suivre son instinct au moment présent et de partir de Barcelone, pour ne que mieux y revenir, un peu comme un point d’attache et d’ancrage. Mais qu’en est-il pour la suite ?
Bonne lecture et merci, Safia, de nous partager un bout de ton histoire.
Bonjour Safia, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour à tous,
Je m’appelle Safia, j’ai bientôt 34 ans et je vis à Barcelone depuis 9 ans avec mon compagnon Guilhem.
Notre fils a bientôt 6 ans et, bien qu’il soit né en France, il a grandi ici et nous a ouverts à la culture catalane.
Je travaille pour une société de cosmétiques naturels et manage une équipe de 40 femmes au service d’un mouvement de mieux consommer et mieux travailler.
Mon travail me passionne et j’adore les jours de semaine, mais j’aime encore plus les sorties en nature que nous faisons en famille chaque week-end. Je pratique le flamenco et suis très assidue à la méditation.
Pourquoi avoir choisi Barcelone pour vivre la toute première fois ? Quel âge avais-tu ?
Je suis arrivée à Barcelone en 2015 alors que j’avais 25 ans.
Nous sommes venus ici car c’était un bon compromis entre cette envie de vivre dans un pays « hispanophone » (je crois d’ailleurs que nous ne mesurions pas l’importance du catalan à l’époque) et l’envie de rester proches de nos familles et de notre travail.
Qu’est-ce que tu as aimé ici, qu’est-ce qui t’a fait vibrer ?
Guilhem et moi nous sommes rencontrés à la fin de notre master et avions tous les deux envie de repartir vivre à l’étranger. J’avais déjà vécu en Colombie et lui ici, à Barcelone. Nos chemins se sont croisés pour que nous puissions continuer à vivre ces expériences hors frontières, ensemble.
Nous envisagions le Mexique. Cependant, tant pour mon travail de l’époque que pour le lien avec ma maman, je n’étais pas prête à faire ce pas. Cela impliquait trop de distance, trop de différences de style de vie. Avec les années et la compréhension, je sais que nous aurions pu faire ce choix. Que cela aurait certainement été merveilleux. Mais la vie a ses mystères et sait où nous porter.
Puis Guilhem m’a alors offert un week-end à Barcelone. C’était entre Noël et le nouvel an 2014. Il raconte volontiers que ce voyage était une incitation au départ. Une invitation à tomber amoureuse de la ville pour que nous puissions, ensuite, y déposer nos bagages.
Cela a fonctionné. Au mois d’octobre suivant, nous étions dans un Airbnb dans la Barceloneta, tous nos biens dans un box dans le quartier des Corts, en recherche d’une location longue durée.
Pendant ta grossesse, tu as décidé de revenir en France pour l’accouchement et élever ton bébé. Pourquoi ce choix ?
Nous n’avions pas véritablement pensé comme ça.
En 2018, je voyageais beaucoup à Paris. Il m’arrivait d’y aller trois fois par mois pour différents projets professionnels, conférences, meetings, shootings… Je ne savais pas que j’allais me retirer de ce monde-là, et nous commencions à sentir que l’énergie de Barcelone ne nous portait plus dans nos projets professionnels. Nous voulions être au cœur de la vie parisienne pour continuer à faire grandir nos business. Et le faire à distance avec un bébé n’avait pas de sens.
Comme tous les nouveaux parents, nous n’avions aucune idée du tsunami que représentait l’arrivée d’un enfant.
Est-ce que Barcelone t’a rapidement manqué ? As-tu finalement regretté ton choix ?
Je suis partie avec une espèce de dégoût dans le cœur. Je ne voulais plus de Barcelone. Tout me semblait incohérent, lent et peu tendre. Je ne voyais que le noir, et même la lumière de Paris (en été…) me semblait tellement réconfortante. Donc non, Barcelone ne m’a pas rapidement manqué et nous n’avons rien regretté.
Tu es finalement revenue vivre à Barcelone en famille, pourquoi ?
Nous sommes rentrés de Paris six mois après notre arrivée. Notre fils avait quatre mois et c’est réellement sa venue qui a tout déclenché.
Au milieu du tumulte, je pensais à Barcelone, à sa douceur de vivre, à ses grands trottoirs pour la poussette, à ses ascenseurs dans le métro, à ces femmes qui allaitent sans se cacher, à ses abuelitos qui saluent les enfants dans la rue… J’ai ainsi commencé à dire : « J’ai envie de rentrer. » Le travail n’était plus une priorité. Notre vie personnelle commençait à prendre une nouvelle place.
Nous n’avons rien regretté, car nous savons que tout arrive pour une raison. Nous avons tant appris. Et nous avons aussi été invités à honorer nos envies profondes. Ce retour a marqué le début d’une vraie autorisation à faire les choix les plus cohérents pour nous.
Nous avons commencé à observer que toutes nos décisions étaient guidées par notre Amour pour notre fils.
Peu importe que cela puisse paraître incohérent, il y avait quelque chose de plus important et de plus fort.
Qu’est-ce qui a changé entre ta vie sans enfant et ta nouvelle vie de maman à Barcelone ?
J’observe ces personnes dans la rue, celles qui ont 25 ou 30 ans, qui ne sont pas encore dans cette phase de la parentalité et vivent Barcelone avec une légèreté et une disponibilité sans commune mesure, et je me dis que je n’ai pas connu ça.
Avant l’arrivée de notre fils, nous étions surtout concentrés sur notre travail. Nous ne profitions pas réellement de Barcelone. Il est vrai que nous allions plus souvent au restaurant, mais le travail était tellement présent que je ne me rappelle pas avoir tiré profit de la richesse de Barcelone.
Aujourd’hui, au contraire, bien que nous ayons moins de temps et plus d’obligations, nous nous sentons plus connectés à la ville.
Notre fils nous a appris à vivre la culture catalane, à avoir un cercle social plus varié et à vivre plus intensément la ville. C’est une vraie richesse.
Vous avez décidé de quitter Barcelone une seconde fois. Était-ce pour les mêmes raisons que la première fois ?
Absolument pas.
Ce deuxième départ, en direction du sud, de l’Andalousie et de ses montagnes, était l’expression de cette autorisation dont je parlais plus haut.
Nous rêvions de vivre isolés, dans la nature, au rythme des saisons. Nous avions à cœur de grandir dans un environnement où le respect de la nature (tant celle de la Terre que la nôtre en tant qu’être humain) soit un fait, une « normalité ». Et nous avons trouvé refuge au cœur de ces montagnes.
Pensais-tu cette fois-ci ne plus revenir à Barcelone ?
Complètement. J’avais vraiment fait mes adieux à Barcelone. Je partais avec le cœur plus léger, sans ce dégoût. Avec ce « merci » qui brûle les lèvres et cette sensation qu’il était grand temps de vivre pleinement nos envies, nos désirs.
Mais le rêve n’est pas toujours ce que nous pensons. La Vie nous surprend.
Comment te sens-tu depuis votre retour ? Est-ce un peu comme si vous n’aviez jamais quitté la ville finalement ?
Nous sommes restés 7 mois en Andalousie et avons dû rentrer car nous ne nous y sentions pas en sécurité sur le plan émotionnel.
Il est arrivé un moment où nous cherchions où était notre refuge. Je pensais alors à ces personnes qui ont une maison de famille, de leurs parents, de leurs oncles, de qui que ce soit où ils peuvent aller se réfugier. Nous n’avions pas ça.
Nous n’avions aucun bien, atterrir chez nos parents n’était pas une option viable… Barcelone est apparue comme étant notre refuge malgré tout…
Le retour fut beau. Comme l’excitation d’un nouveau départ. La sensation de n’être jamais vraiment partis mais de ne plus faire partie des murs non plus.
C’est aussi l’intégration d’une illusion. Nous avons touché du doigt notre rêve mais n’avons pas pu le vivre. Une histoire a encore besoin d’être écrite.
Comment ton fils a-t-il vécu ces changements de vie ?
Nous avons toujours fait en sorte de lui montrer le côté joyeux et stimulant de ces changements.
Partir en Andalousie pour avoir une maison, une piscine, la possibilité de jouer en extérieur tout le temps, l’école jusqu’à 14h… et le retour à Barcelone, les copains de toujours, les grands-parents plus proches…
Photo Guilhem Guinot
Il était petit et cela nous a certainement beaucoup aidé. Nous verrons comment il vit le prochain mouvement 🙂
Et maintenant, te sens-tu à ta place à Barcelone ?
Je me sens en transition.
Je sais que nous n’y resterons pas, mais que nous avons beaucoup de choses à vivre ici encore. Je prends cette chance comme une opportunité pour me connecter, découvrir, rencontrer et me nourrir. J’observe ce que cette ville a de si fabuleux et m’en imprègne avant de savoir exactement où nous désirons aller ensuite.
Pour revenir à la deuxième question… Qu’est-ce que tu aimes désormais à Barcelone en tant que maman ? Te verrais-tu vivre ailleurs ?
Comme ville, je trouve Barcelone fantastique. Les enfants y sont valorisés, vus et reçus. Les gens aiment leur présence et la ville fait beaucoup pour qu’ils apprennent et se divertissent. Je trouve que nous avons de la chance, mais je reste ouverte à vivre autre chose plus en accord avec mes valeurs profondes.
Un petit mot pour la fin ? Que dirais-tu à un jeune couple, à de jeunes parents qui aiment vraiment Barcelone mais qui se demandent s’il ne faut pas essayer d’aller découvrir ailleurs ?
Allez-y. Sentez et comprenez.
Je crois que l’on reste trop longtemps enfermés dans des projections et que seule l’expérience nous donne les réponses.
Nous sommes là car nous ne savons pas encore où nous voulons aller, mais dès que nous aurons une idée plus précise, nous mettrons tout en place pour essayer. Barcelone sera toujours là et sera toujours un bel endroit pour vivre. Tentons ces aventures et apprenons de ce chemin !
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