Nous avons récemment découvert le projet inspirant de Chloée, une maman originaire des Antilles, installée à Barcelone depuis 5 ans. Avec sa box d’activités bilingue et multiculturelle, elle aide les parents à transmettre leurs racines tout en s’intégrant à leur pays d’accueil. Une belle initiative qui nous a donné envie d’en savoir plus sur son parcours, son idée et son quotidien de maman entre plusieurs cultures.
Un grand merci à Chloée pour ce partage, et surtout pour avoir imaginé cette box qui crée du lien ! N’hésitez pas à la suivre sur les réseaux pour la soutenir et découvrir son projet.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Chloée, j’ai 32 ans et j’habite à Barcelone depuis 5 ans et demi avec mon mari et nos deux enfants de 4 ans et 1 an. Nous sommes tous les deux originaires des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique). Je travaille dans le marketing et, à côté, j’ai lancé un projet passion : une box d’activités pour enfants, multiculturelle et bilingue, pour aider les familles expatriées à trouver un équilibre entre intégration et transmission culturelle.
Peux-tu nous raconter ton histoire : qu’est-ce qui t’a amenée à Barcelone ?
Après une première expatriation de presque dix ans au Canada, nous avions envie de changement et de nous rapprocher d’une partie de notre famille. Nous n’avions pas de destination précise en tête, mais quelques critères : un climat doux, la mer à proximité, des liaisons faciles avec la France, une ville vivante et le défi d’une nouvelle langue. Barcelone cochait toutes ces cases !
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Tes enfants grandissent ici : à quoi ressemble leur environnement (langues, école, amis, quartier) ?
Mes deux enfants sont nés ici donc ils ont grandi dans un environnement catalan dès le départ. La crèche et l’école (dans notre quartier de la Sagrera) sont en catalan, leurs copains sont pour la plupart catalans aussi. Mais dans notre cercle plus intime, nous gardons un mélange avec nos amis et notre famille francophones.

Quelles traditions ou valeurs de ta culture d’origine tu tiens à transmettre à tes enfants ?
Nous avons nous-mêmes une culture déjà métissée à la base. Mon mari et moi venons de la Guadeloupe et de la Martinique donc nos racines mêlent la culture antillaise et française. On a envie de leur transmettre un peu de ce avec quoi on a nous-mêmes grandi : les langues, les façons d’être et de vivre, les fêtes populaires, les merveilles de notre cuisine… On ne veut pas qu’ils se sentent étrangers quand ils en parlent ou quand ils y vont mais qu’ils sachent que cela fait partie intégrante de leur identité.
Comment tu arrives à garder ce lien (langue, cuisine, fêtes, voyages, histoires familiales…) ?
Nous retournons régulièrement dans nos îles et en France, et la famille nous rend aussi visite à Barcelone (et comme tous les parents expats, on passe aussi beaucoup de temps en visio, haha !). Au quotidien, nous faisons aussi en sorte d’intégrer des éléments culturels dans les moments de vie, les objets du quotidien, les jeux (livres en français et en créole, puzzles et coloriages avec des paysages de là-bas, poupées typiques ou qui leur ressemblent, instruments “locaux”, les plats, les musiques… qui reflètent nos cultures).
Dès qu’on en a l’occasion, on profite pour faire des parallèles entre ce qui se fait ici et là-bas pour leur montrer les similitudes et les différences. Quand nous avons le temps, nous organisons de petites activités qui les exposent encore davantage : faire une activité manuelle pour découvrir d’où on vient par le jeu, construire un arbre généalogique qui montre les différents pays de l’histoire familiale, etc.
C’est d’ailleurs cette envie de rendre la transmission plus ludique, tangible et accessible qui m’a inspirée à créer la Peek-a-Box, une box bilingue et multiculturelle pensée pour aider les familles à garder le lien avec leurs origines, exposer leurs enfants à leurs langues et cultures, d’ici et de là-bas, à travers des moments de partage qui créent des liens.
Qu’est-ce qui est le plus facile, et qu’est-ce qui est le plus difficile pour toi dans cette transmission ?
Cuisiner des plats, leur faire écouter la musique, leur montrer des photos, tout ça c’est plutôt naturel et facile à intégrer au quotidien…
Ce qui est plus complexe, c’est de maintenir l’équilibre des langues. Entre le catalan de l’école, l’espagnol de la rue, le français et les autres langues de la maison… tout ça dans notre quotidien de parents parfois débordés, il n’est pas toujours simple de trouver l’énergie et notre bonne volonté est vite rattrapée par le quotidien. C’est surtout le cas pour les langues secondaires, comme le créole ou quand il faut aller plus loin en français pour diversifier leur vocabulaire ou commencer à les introduire à la lecture ou à l’histoire quand ils grandissent. Quand tout ne repose que sur nous, et qu’ils ont déjà tant d’informations à absorber au quotidien, c’est plus compliqué de s’y tenir.
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Comment tes enfants vivent-ils la culture catalane/espagnole au quotidien ?
Très bien ! C’est juste la normalité pour eux. C’est la langue et la culture de l’école et des copains, du jeu et de l’apprentissage, avec des personnes qu’ils apprécient et avec qui ils passent parfois plus de temps qu’avec nous. Forcément, la question ne se pose pas pour eux.
Quelle place prennent les différentes langues (catalan, espagnol, ta langue maternelle) dans leur vie ?
Le catalan, c’est à 100% à l’école, l’espagnol est très présent dans les activités du quotidien, et à la maison nous parlons français et créole.
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As-tu le sentiment qu’ils construisent une identité « entre plusieurs cultures » ?
Oui, clairement. À l’école, ils participent aux traditions locales et vivent pleinement la culture catalane avec leurs camarades. Quand ils sortent jouer, font des activités hors de l’école ou vont aux anniversaires, c’est aussi dans cet univers-là qu’ils baignent. Et puis, dès qu’ils rentrent à la maison ou qu’on est en famille, c’est une autre ambiance avec d’autres langues, d’autres références. Ma grande fille a vite compris qu’il y avait deux “mondes” en parallèle. Au début, elle les séparait complètement. Petit à petit, elle comprend que les deux peuvent cohabiter et on a aussi ouvert la porte à ces échanges entre cultures en s’intéressant davantage à la culture catalane dans laquelle elle évolue.
C’est exactement le genre de choses que j’ai aussi envie de valoriser avec la Peek-a-Box : montrer aux enfants qu’ils peuvent créer des ponts et appartenir à plusieurs mondes à la fois et que c’est une force. Ne pas opposer les cultures mais en faire un terrain de jeu, un espace de découverte et de fierté, pour les petits et les grands.
Tes enfants sont nés ici : est-ce qu’ils se sentent totalement « d’ici » ?
Ils sont encore petits pour exprimer un sentiment d’appartenance, mais leur quotidien est catalan. Ma fille parle parfois mieux catalan que français, et c’est ici qu’ils ont leurs repères.

Et toi, comment tu vis le fait d’être perçue comme « étranger/étrangère », alors qu’eux se sentent chez eux ?
Je le vis bien, car je suis fière de mon parcours et de mes origines. Ça ne me dérange pas qu’on remarque que je suis « étrangère » et qu’on me demande d’où je viens. Au contraire. Mais il m’arrive de me sentir en décalage, par exemple quand ma fille discute en catalan avec les passants et que je ne comprends que la moitié ! Ce sont des moments anecdotiques et plutôt drôles, mais j’ai parfois la crainte que ça crée un fossé entre nous à la longue ou que mes enfants soient perçus autrement à cause de cette “différence”.
As-tu déjà ressenti un décalage entre leur manière de se définir et la tienne ?
C’est trop tôt pour le dire mais j’aimerais éviter cela. Bien sûr, ils vont créer leur propre identité “hybride” qui sera différente de la mienne mais je veux qu’ils sachent tout de leur histoire et qu’ils sachent qu’ils peuvent être “tout ça à la fois”. C’est leur richesse.
Est-ce que tu as peur parfois qu’ils s’éloignent trop de tes racines ?
Oui. Je veux qu’ils en soient fiers, qu’ils connaissent l’histoire et la culture de leurs origines, qu’ils maîtrisent leurs langues. Mais je sais aussi qu’ils devront se “partager” à un moment ou un autre, et qu’ils choisiront eux-mêmes ce dans quoi ils se reconnaissent le plus.
Qu’est-ce que tu mets en place au quotidien pour trouver l’équilibre entre préserver tes racines et laisser tes enfants s’intégrer pleinement ici ?
Dès que possible, on s’intègre à la vie de l’école et du quartier. On participe avec curiosité aux traditions locales et on se laisse guider par les conseils des gens d’ici pour que nos enfants puissent vraiment s’approprier la culture dans laquelle ils grandissent. En parallèle, on saisit chaque occasion pour les exposer à nos propres origines parce qu’on sait que nous sommes les seuls “garants” (nous n’avons ni famille ni communauté autour de nous). Et la maison, c’est le lieu pour ça. Mais on ne les empêche pas de parler catalan ou espagnol s’ils en ont envie dans le cercle privé. Bien au contraire, on en joue ! Et parfois, on se met nous-mêmes dans l’ambiance en écoutant de la musique catalane ou en lisant des livres dans la langue. Et ça, nos enfants adorent !
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Qu’est-ce que tu trouves difficile dans le fait de jongler entre plusieurs cultures en tant que maman qui élève ses enfants à l’étranger ?
Ce qui est compliqué, c’est que même si la volonté est là, dans la réalité, elle n’est pas toujours suivie d’action. Nos journées sont déjà très remplies en tant que parents. Alors oui, on aimerait prendre un cours de catalan pour mieux suivre ce que vivent nos enfants, ou toujours trouver des manières créatives de ramener nos traditions de France (et des Antilles) à la maison, mais ce n’est pas évident de trouver des façons d’aller plus loin ou simplement de garder le rythme sur la durée. On manque toujours de temps, d’idées ou de supports adaptés pour que ce soit un plaisir pour tout le monde et pas une corvée.
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C’est d’ailleurs quand j’ai fait ce constat (beaucoup d’envie, mais pas toujours les moyens ou le temps pour la mettre en pratique…) que j’ai eu l’idée de créer la Peek-a-Box. Beaucoup de parents français à Barcelone n’ont pas forcément un haut niveau de connaissance de la langue ou culture catalane, ni les ressources ou l’envie de s’ajouter une charge mentale. Et parfois, c’est pareil pour leur propre culture, ils font comme ils peuvent. Dans ma parentalité à l’étranger, il me manquait un outil simple et fun pour créer des ponts, intéresser mes enfants, sans m’ajouter de « travail », alors je l’ai créé…
Y a-t-il des moments de tension ou de conflit liés à cette question d’identité ? Comment tu les gères ?
Il y a forcément des traditions qui se chevauchent ou se contredisent, et il faut parfois choisir, expliquer ou adapter. Ça ne crée pas de conflit, mais ça demande toujours un petit ajustement. Au final, on compose notre propre mélange. S’il faut avoir le Caga Tió et le Père Noël en même temps à la maison, alors pourquoi pas ?
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Quels sont selon toi les plus beaux atouts d’une enfance multiculturelle ?
Le plurilinguisme, c’est déjà un cadeau immense. Mais au-delà de la langue, je crois que ce contexte développe une grande empathie, ouverture, curiosité et adaptabilité. J’espère de tout cœur que ce sont des qualités qu’ils cultiveront toute leur vie.

Comment cela se passe avec votre famille, quand vous allez les voir ou quand ils viennent à Barcelone ?
Pour eux, c’est toujours la découverte d’un nouvel univers. Ils sont fascinés de voir les enfants évoluer dans un cadre si différent. Un peu perdus quand ils leur parlent en espagnol ou en catalan, ils s’en amusent et répondent en français ou en créole. Ils font tout pour transmettre et partager un maximum de choses dans le peu de temps qu’ils passent ensemble.
Quels conseils donnerais-tu à d’autres parents qui, comme toi, élèvent leurs enfants dans un contexte multiculturel ?
Ne pas chercher la perfection, ni se mettre la pression. Les enfants sont incroyablement adaptables. La transmission se fait dans les petites choses du quotidien, pas seulement dans les grands moments ou les choses très cadrées. Et même si on ne parle pas parfaitement la langue locale, montrer qu’on s’y intéresse suffit déjà à créer un lien fort avec les enfants. Et, sans qu’on s’y attende forcément, ça peut même faciliter la transmission de sa propre culture.
Si tu devais résumer en une phrase ce que tu veux absolument transmettre à tes enfants, ce serait quoi ?
Je veux qu’ils développent un amour et une confiance en eux qui les rendent inébranlables et libres de réaliser tout ce dont ils ont envie. Pour ça, je crois qu’ils doivent (entre autres) savoir d’où ils viennent, en être fiers, et sentir qu’ils ont leur place partout où ils vont.
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